L’incroyable histoire du dernier Français vainqueur du marathon olympique

1956, Melbourne. Il fait 36 degrés à l’ombre, l’air est brûlant, l’ambiance électrique. Sur la ligne de départ du marathon olympique, 45 athlètes s’apprêtent à s’élancer dans l’épreuve reine. Parmi eux, un Français au sourire lumineux, inconnu sur la distance, qui ne suscite aucune attente. Son nom ? Alain Mimoun.

Ce que personne ne sait, c’est qu’il s’apprête à écrire une des plus belles pages de l’histoire de l’athlétisme français. Une histoire d’humilité, d’acharnement et de destin.

Un destin forgé dans le feu

Né le 1er janvier 1921 en Algérie française, Alain Mimoun est l’aîné d’une fratrie de sept. D’abord destiné à devenir instituteur, il est happé par l’histoire : engagé à 18 ans dans le 6e régiment des tirailleurs algériens, il combat pendant la Seconde Guerre mondiale, est blessé par éclats d’obus, frôle l’amputation, mais s’en sort avec une jambe miraculeusement sauvée.

C’est pendant cette période trouble qu’il découvre la course à pied par hasard à Bourg-en-Bresse. Coup de foudre immédiat. À peine démobilisé en 1946, il enchaîne les victoires sur 5 000 m et 10 000 m, tout en travaillant comme garçon de café à Paris. Les pieds sur la piste, la tête dans les étoiles — et les mains dans les tasses.

Zatopek, l’ombre et l’ami

Rapidement, Mimoun se heurte à un mur de granit : Emil Zatopek, la légende tchécoslovaque surnommée “la locomotive”. À Londres en 1948, à Helsinki en 1952, Mimoun s’incline systématiquement. Argent. Encore argent. Toujours argent.

Mais au lieu de nourrir une rancœur, cette rivalité va devenir une amitié profonde. L’un admire la puissance, l’autre la ténacité. Et tous deux savent ce que signifie souffrir pour une ligne d’arrivée.

Crédit: Getty Images

Objectif marathon : mission secrète

1956, Jeux Olympiques à Melbourne. Le climat mondial est tendu : boycotts politiques, tensions diplomatiques… mais Mimoun n’a qu’un objectif : le marathon, qu’il n’a pourtant jamais couru.

Et pour ne pas céder à la pression, il s’entraîne en cachette — même sa femme croit qu’il prépare un 10 000 m. Il court trois fois par jour, convaincu que l’ignorance est un atout : « Le marathon, il ne faut pas savoir ce que c’est. C’est tellement terrible que quand on le sait, on a toujours la frousse. »

Le jour J, il quitte son entraîneur avec un sobre : « Je ne te promets rien. » Mais en réalité, dans son cœur, il le sait : il va gagner.

Dossard 13, heure 13, année miracle

Superstitieux, Mimoun lit les signes : sa fille naît la veille de la course — il la prénomme Olymp. Il porte le dossard n°13. Le départ est donné à 15h13. Et 1956, ça fait pile 28 ans après la dernière victoire française (1928)… comme celle d’avant (1900). Logique implacable.

Mais l’histoire bascule dès les premiers kilomètres. Mimoun reste discret dans le peloton de tête, puis répond à l’appel de son ami américain John G. Kelly qui l’invite d’un geste à prendre l’échappée. Kelly craque. Mimoun continue. Au demi-tour, il croise Zatopek : la foulée est lourde, la fatigue visible. Il comprend : la victoire est possible.

« Very good, very good ! »

Mais le marathon reste un monstre. Au 32e kilomètre, les jambes de Mimoun lâchent. Il souffre. Il s’insulte lui-même pour avancer. Il interroge les spectateurs pour savoir où sont ses concurrents, sans réponse. Seule phrase qui revient : « Very good, very good! »

Et ça suffit. À 17h37, Mimoun entre seul dans le stade de Melbourne, acclamé par 120 000 personnes. Le dernier tour est un sprint de légende : 1 minute et 4 secondes.

Il franchit la ligne après 2h25 de course. Premier marathon. Médaille d’or.

De héros olympique à garçon de café

Quelques jours plus tard, Mimoun reprend son poste de serveur à Paris. L’or dans les jambes, l’humilité dans le cœur. Il continuera de dominer le fond français pendant des années. 86 sélections en équipe de France : un record toujours imbattu.

Il s’éteint le 27 juin 2013. La France lui rend hommage aux Invalides. Et nous, coureurs d’aujourd’hui, devons peut-être un peu de notre passion à cet homme-là — le dernier Français à avoir remporté le marathon olympique.



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