Enquête sur les dessous des coachs TOXIQUES
Dans l’univers du sport de haut niveau, il y a les chronos, les podiums, les sourires crispés sur les photos de fin de course… et puis il y a l’envers du décor. Un territoire plus trouble, moins instagrammable, où s’immiscent des phrases assassines, des logiques de contrôle, et parfois, des dérives graves : celles des coachs toxiques.
C’est ce que Cléo et Émilie, journalistes, ont voulu explorer. En partant à la rencontre d’athlètes, de professionnels de santé et d’experts, elles ont mis en lumière un sujet aussi tabou que brûlant : le rôle de certains entraîneurs dans l’émergence de troubles du comportement alimentaire chez les coureurs et coureuses.
La performance à tout prix : quand le chrono dicte l’alimentation
Dans les sports d’endurance, et tout particulièrement en course à pied, le poids est souvent perçu comme un levier de performance. Moins de kilos = plus de vitesse. L’équation semble simple. Trop simple. C’est ce que dénonce Mathieu Jouis, nutritionniste à la Fédération Française d’Athlétisme : « Au plus haut niveau, on observe une corrélation directe entre la morphologie très mince des athlètes et leurs résultats… mais ce modèle devient dangereux quand il est poursuivi à tout prix ».
Le problème, c’est qu’au nom de cette quête d’optimisation, certains coachs franchissent la ligne rouge. Comparaisons humiliantes, remarques sur le corps, injonctions à maigrir : autant de petites phrases qui, répétées, se transforment en blessures psychologiques.
« Grosse comme une truie » : le poids des mots
Sarah Faufanak-Houttouan, médaillée mondiale du 100 haies, en sait quelque chose. Elle raconte comment, à l’adolescence, un coach compare sa morphologie à celle d’une autre athlète, la rabaisse devant ses camarades : « Ne lui montre pas cette recette, elle est déjà grosse comme une truie. » Tout le monde rit. Sarah aussi. Du moins, en apparence.
Les effets sont insidieux : elle arrête de manger, perd cinq kilos en une semaine, bascule dans la boulimie. Et au lieu de recevoir du soutien, elle entend un nutritionniste affirmer que « 1 kilo sur la balance, c’est 1 seconde sur la piste ».
Crédit : Linkedin de Sarah Faufanak-Houttouan,
Quand le coach oublie l’humain
Ce type de discours déshumanise les athlètes. Leur corps n’est plus un outil de plaisir, mais un instrument de performance qu’on ajuste, affine, contrôle. Et souvent, ces dérives sont facilitées par deux éléments : le décalage d’âge entre des jeunes athlètes et des coachs adultes, et un manque flagrant d’empathie dans l’encadrement. La psychiatre Laura Di Llodovico souligne que« beaucoup d’athlètes qui souffrent de TCA ont un haut niveau d’exigence, une tendance au perfectionnisme et une vulnérabilité accrue à l’anxiété ». Ce terrain est propice aux dérives, surtout si l’environnement les alimente plutôt que de les prévenir.
Des cas loin d’être isolés
Le cas de Sarah n’est malheureusement pas une exception. La patineuse Gracie Gold, prodige américaine, a révélé avoir été poussée vers l’anorexie par un encadrement obsédé par sa ligne. La gymnaste Katelyn Ohashi, ancienne star des NCAA, a elle aussi dénoncé la pression constante sur son corps, au point de détester ce sport qu’elle aimait tant. Même dans le tennis, Monica Seles a confié avoir souffert de troubles alimentaires dans le silence, rongée par les exigences de performance et les remarques sur son physique.
Contrôle, culpabilité, isolement : le cercle vicieux
Ces dérives partagent un même mécanisme : une quête de contrôle. « Mon corps, je ne le sentais plus fait de chair, mais seulement fait pour la performance », résume Sarah. Quand on perd la maîtrise de tout — ses horaires, son alimentation, son sommeil — il ne reste parfois qu’un endroit où s’affirmer : son propre corps. Mais cette illusion de contrôle vire vite au cauchemar : culpabilité, isolement social, et impacts dévastateurs sur la santé physique et mentale.
👉 Les TCA (troubles du comportement alimentaire) touchent 900 000 personnes en France selon la Fédération française anorexie boulimie. Et dans le sport de haut niveau, le risque est trois fois plus élevé. Trois fois plus.
Pourquoi ? Parce que la douleur, dans ce milieu, est souvent valorisée. « No pain, no gain », disent-ils. Et tant pis si l’obsession de la performance détruit en chemin.
Et maintenant, on fait quoi ?
Le cas de Sarah n’est pas isolé. Derrière elle, combien d’athlètes subissent en silence ? Combien de jeunes talents, dès l’adolescence, apprennent à mesurer leur valeur en kilos plutôt qu’en kilomètres ? Il est temps de changer les règles du jeu.
Cela commence par former et responsabiliser les coachs. Le nutritionniste Mathieu Jouis anime notamment des webinaires à la Fédération Française d’Athlétisme pour les aider à repérer les signes de TCA, surveiller leur langage, et surtout, à s'entourer de professionnels de santé. Parce qu’un coach, aussi compétent soit-il, n’est ni psychologue, ni diététicien.
Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi ouvrir la parole, libérer les témoignages, faire entendre des voix comme celle de Sarah. Car briser le tabou, c’est déjà faire un pas vers un encadrement plus sain, plus humain. Un encadrement où le corps de l’athlète redevient un allié, pas un champ de bataille.
Témoigner pour que ça change
Aujourd’hui, Sarah parle. Pour que ce qu’elle a vécu n’arrive plus. Pour que l’on entende, derrière chaque médaille, les voix qui ne s’expriment qu’à demi-mot. Pour que le corps ne soit plus un champ de bataille, mais un partenaire de performance, respecté et écouté.
Dans l’univers du sport de haut niveau, il y a les chronos, les podiums, les sourires crispés sur les photos de fin de course… et puis il y a l’envers du décor. Un territoire plus trouble, moins instagrammable, où s’immiscent des phrases assassines, des logiques de contrôle, et parfois, des dérives graves : celles des coachs toxiques.