Esprit d’équipe et quête d’autonomie : les paradoxes de la Barkley
"On veut qu’il y ait au moins un finisher. On s’entraide. Mais chacun doit être autonome." — Aurélien Sanchez
Quand on pense à la Barkley, cette course réputée la plus dure du monde, on imagine spontanément un coureur seul, égaré dans la forêt, affrontant les éléments et ses propres limites. Pourtant, comme le raconte Aurélien Sanchez — premier Français à avoir fini la Barkley — la réalité est bien plus nuancée. À la Barkley, l’esprit d’équipe et la quête d’autonomie cohabitent… dans un subtil paradoxe.
Crédit : Davidmillerphotography_ sur Instagram
Une course contre la course, pas contre les autres
"C’est une course contre la course en elle-même."
Contrairement à la plupart des compétitions sportives, la Barkley ne consacre pas un vainqueur au sens classique. Peu importe votre position au classement : ce qui compte, c’est de finir les cinq boucles dans les temps. Or, vu le taux de réussite (1 % !), l’objectif collectif des participants est simple : qu’au moins un coureur franchisse l’arche jaune dans le délai imparti.
Dans cet esprit, la coopération est naturelle, presque vitale. Les coureurs échangent conseils et repères avant et pendant la course. On ne parle pas ici de petits secrets glanés à la volée, mais de véritables clés de survie. "Avant le livre, rappelle-toi de cet arbre en Y. Quand tu le vois, le livre est 30 mètres plus loin." Ce genre d’indice peut littéralement faire la différence entre finir une boucle… ou se perdre des heures.
La transmission comme socle culturel
Cet esprit d’entraide s’enracine dans la tradition même de la Barkley. Les anciens, ou "vétérans", partagent leur expérience avec les "virgins", ceux qui prennent le départ pour la première fois. "Clairement, il y a beaucoup de coopération, beaucoup de partage, beaucoup de transmission."
Pas de tutoriels YouTube, pas de roadbook officiel. Le savoir passe par l’oral, par la communauté. L’héritage se construit boucle après boucle, année après année.
Mais attention : cette entraide a ses limites.
Crédit : Les Others, Aurélien Sanchez finisher de la Barkley Marathon 2025
Ne pas se perdre… en suivant les autres
"Chacun doit faire ses devoirs. Chacun doit apporter à l’autre."
À la Barkley, il ne s’agit pas de se contenter de suivre le groupe comme un mouton. L’autonomie est une valeur cardinale. Pourquoi ? Parce que tôt ou tard, le coureur se retrouvera seul. À cause du rythme, de la fatigue, ou simplement d’une erreur d’aiguillage.
"Moi, à ma première boucle, je savais que j’allais la passer avec un vétéran, pour optimiser et ne pas me perdre. Mais j’étais dans une quête d’autonomie." Cette philosophie guide les coureurs les plus sérieux. Suivre un vétéran sans comprendre le parcours, c’est s’exposer à l’échec. "Ceux qui se disent ‘je vais finir en suivant quelqu’un’, je trouve que ce n’est pas la bonne démarche."
Les finishers ne sont pas des suiveurs, mais des navigateurs. Ils construisent leur propre compréhension du terrain, mémorisent les repères, élaborent leur stratégie. C’est cette maîtrise individuelle qui leur permettra — peut-être — de franchir la ligne d’arrivée.
Le piège du groupe
Enfin, l’équilibre entre esprit d’équipe et autonomie est fragile. "Il ne faut pas qu’on soit 15, et que tout le monde suive un seul leader. Sinon, quand le leader part, les autres sont perdus."
Ainsi, au fil des boucles, des petits groupes se forment et se défont naturellement, en fonction des allures et des niveaux de préparation. L’apprentissage mutuel se poursuit, mais chacun garde à l’esprit que l’aventure est d’abord une affaire personnelle.
Une métaphore de la vie ?
Cet équilibre entre coopération et autonomie, entre transmission et prise de responsabilité, fait aussi de la Barkley une belle métaphore de la vie. On apprend des autres, on progresse ensemble, mais le moment venu, il faut savoir tracer sa propre voie.
"On veut qu’il y ait au moins un finisher. On s’entraide. Mais chacun doit être autonome." Voilà, en une phrase d’Aurélien Sanchez, l’essence même de la Barkley. Une course d’endurance, de stratégie… et de paradoxe.
"La Barkley, c'est un puzzle géant avec 1 % de réussite. C'est ça qui m’a attiré." — Aurélien Sanchez
Qui n’a jamais entendu parler de la Barkley ? Course mythique et presque impossible, elle fascine bien au-delà du monde du trail. Et il y a deux ans, un Français a réussi l’exploit : Aurélien Sanchez. Nous avons tendu le micro à ce coureur pas tout à fait comme les autres, pour qu’il nous raconte son incroyable aventure — et ce que cette course lui a appris.