Raconter le vrai Trail dans un monde saturé d’images - Alexis Berg & Dave Pen

Avec Alexis Berg & Dave Pen

Dans un monde où chaque geste, chaque pensée, chaque foulée finit en story, existe-t-il encore des récits qui prennent le temps ? Des histoires qui s’installent, respirent, et ne cherchent pas à être “impactantes” en dix secondes ?
C’est la question que pose Run Again, le nouveau documentaire d’Alexis Berg, photographe et réalisateur devenu l’un des regards les plus singuliers du trail running.

Run Again raconte les 431 kilomètres de la Spine Race, une traversée hivernale, solitaire et glaciale de la campagne anglaise, vécus par Dave Pen, chanteur du groupe Archive… et ultra-runner passionné.
Deux mondes que tout oppose, mais qui se rejoignent là où il reste encore un peu de silence.

👉 Dans cet entretien croisé, Cléo, journalise de notre podcast, explore avec eux ce que signifie raconter le trail aujourd’hui. Et pourquoi, finalement, on continue tous à courir.

I. Alexis Berg : filmer l’ultra quand le monde défile trop vite

« Le trail, ça m’a ouvert un accès à des endroits que je n’avais jamais vus. »

Avant d’être l’un des photographes emblématiques du trail, Alexis Berg était… journaliste. Puis, presque par hasard, il découvre la photo, l’outdoor, la montagne et le trail. Une rencontre tardive mais décisive.
Ce n’est pas seulement le sport qui le fascine, c’est la possibilité d’aller ailleurs, loin des routines, loin du bruit. « Comme plein de gens qui n’ont pas grandi avec la montagne, j’ai découvert ça tard. Et ça m’a complètement happé. »

Ce qui l’attire dans l’ultra ? Le temps long. Le temps qui s’étire, parfois jusqu’à distordre les repères. Ce paradoxe fascinant où, en une journée, un coureur peut traverser toutes les saisons intérieures.

Le trail évolue… mais pas toujours comme on le croit

Depuis douze ans qu’il photographie la discipline, Alexis a vu le sport changer. Grandir. Se structurer. Se médiatiser. Mais il prévient : attention à l’effet de loupe.

Oui, il y a plus d’images.
Oui, l’UTMB ressemble parfois à un festival d’équipes de tournage.
Oui, tout le monde semble vouloir publier “son recap”.

Mais le trail reste multiple. Une mosaïque de pratiques, d’histoires invisibles, de courses confidentielles qui échappent à nos radars. « Il faut prendre du recul. On croit savoir ce qu’est le trail parce qu’on voit les réseaux sociaux. Mais en réalité, plein de choses existent en dehors. »

Saturation d’images : fin de la créativité ou début de quelque chose ?

Alexis ne cède pas au pessimisme. La démocratisation des outils, caméras, drones, logiciels, permet aujourd’hui à de jeunes créateurs et créatrices de proposer de nouvelles sensibilités, plus libres, plus personnelles. « Il y a de plus en plus de jeunes très talentueux. Si on leur donne du temps et de la liberté, il va émerger des choses vraiment intéressantes. »

Son propre travail repose sur ce fragile équilibre entre esthétique et récit, entre beauté du geste et profondeur du vécu. Il refuse la surenchère, les formats calibrés pour les réseaux. Il préfère le documentaire, le temps long, l’exploration.

II. Run Again : filmer sans parler, raconter sans intervenir

👉 La Spine Race n’est pas une course comme les autres. Six jours et six nuits. 430 kilomètres. Autonomie quasi totale. Une sorte de pèlerinage gelé au cœur de l’hiver anglais.

Pour capturer l’expérience de Dave, Alexis et son équipe décident… de ne pas lui parler.

Pas de micro-perche intrusive.
Pas d’échanges réconfortants.
Pas de “Ça va ? Tiens bon !” malvenu « On ne voulait pas perturber son expérience. Ce n’était pas la grammaire du film. »

Ce silence étrange donne au documentaire sa force : tout se joue dans le corps, la fatigue, la manière dont Dave habite le paysage.
La parole viendra plus tard, au cours de longues heures d’entretiens où il raconte tout : le froid, la solitude, les doutes, mais aussi la musique, la famille, les paysages qui lui ont ouvert d’autres portes.

III. Dave Pen : courir pour respirer (et pour fuir un peu le monde moderne)

Si Run Again fonctionne si bien, c’est aussi parce que l’histoire de Dave Pen ne ressemble à aucune autre. Chanteur du groupe Archive, habitué aux scènes et aux projecteurs, il s’est mis à courir pour… trouver du silence.

« Je passe ma vie entouré de bruit. Le trail, c’est mon échappatoire. »

Pas de musique.
Pas d’écouteurs.
Juste le vent, la boue, et ses propres pensées. « J’ai besoin de quelque chose qui soit à moi. Un espace sans chaos. Le trail est devenu mon refuge. »

Il voit même l’ultra comme un acte à contre-courant dans une société obsédée par la vitesse, le court, le punchy. « C’est une manière de montrer qu’on ne veut pas tout accepter. Une sorte de “deux doigts” à la machine. »

L’exigence moderne : toujours aller plus vite ?

Dave reconnaît ce paradoxe : nous vivons dans une société qui encourage chacun à dépasser ses limites… parfois sans trop savoir pourquoi.
L’ultra en est l’exemple parfait : une quête personnelle, mais aussi un miroir d’une époque qui veut tout optimiser.

Mais il célèbre une caractéristique unique du trail : « J’adore que le dernier partent en même temps que le premier. C’est le même départ, la même aventure, les mêmes émotions. »

Musique et trail : deux mondes opposés… ou pas tant que ça

Sur scène, Dave vit des montagnes russes émotionnelles. Dans l’ultra, il retrouve ces mêmes vagues.
Il va même jusqu’à comparer les tournées musicales à des ultras : « Un tour, c’est un ultra : tu ne pars pas trop vite, tu traverses des hauts et des bas, tu finis épuisé mais heureux. »

Et oui : courir l’a rendu meilleur chanteur.
Plus de souffle.
Plus de puissance.
Plus de présence.

Le paradoxe du récit : l’ultra est intime… mais tout le monde veut l’image

Dave le dit sans détour : c’est étrange d’être filmé dans des moments aussi personnels, presque spirituels.
Mais il sait aussi que c’est devenu une part du jeu. Le trail fascine. Et il attire désormais autant que certains groupes de rock. « Les élites du trail sont des rock stars. Je suis impressionné comme un gamin devant eux. »

Pourquoi courir encore ?

La réponse de Dave est simple, sincère, presque enfantine : « Il y a tellement de chemins que je n’ai pas encore foulés. Tellement d’endroits où je veux aller. Et j’ai encore envie de me découvrir. »

Courir pour se perdre.
Courir pour se retrouver.
Courir pour recommencer.

Conclusion : dans un monde saturé d’images, il reste les histoires qui prennent le temps

Run Again est un documentaire sur une course.
Mais c’est surtout un film sur le temps, le silence, la quête, les contradictions d’un monde où tout doit aller vite — sauf ce qui compte vraiment.

Alexis Berg filme ce que les réseaux ne montreront jamais :
le doute, la lenteur, la respiration, les pas inutiles, les pas essentiels.

Dave Pen y met son corps et sa voix : celle qui chante dans Archive, et celle — plus fragile — qui parle de solitude, de lumière et d’ombre.

Dans un monde saturé d’images, Run Again propose autre chose :
prendre le temps de regarder, vraiment.

Et peut-être, qui sait, de donner envie à chacun de… run again.


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