Survivant du Bataclan, il devient finisher de l’UTMB pour se reconstruire

Le 13 novembre 2015, la France basculait dans l’horreur. Ce soir-là, les attentats de Paris faisaient 130 morts, dont 90 au Bataclan.

Dix ans plus tard, la mémoire de cette nuit reste vive : pour les victimes, leurs proches, mais aussi pour tous ceux qui ont été touchés, de près ou de loin, par ces événements.
Alors que la France commémore aujourd’hui les dix ans des attentats du 13 novembre, nous avons souhaité partager à nouveau le récit de Gaëtan, rescapé du Bataclan.

Parce que son histoire n’est pas seulement celle d’un survivant, mais celle d’un homme qui a trouvé dans la course à pied un chemin de reconstruction.
Une histoire de douleur, de résilience… et d’une lumière retrouvée au bout du sentier.

Le jour où tout commence

Avant de devenir un coureur d’ultra, Gaëtan est simplement un étudiant stressé. En 2001, il chausse pour la première fois une paire de baskets, enfin pas tout à fait : « Je suis parti courir avec mes chaussures de salle », raconte-t-il en riant. Quarante-cinq minutes de souffrance, des courbatures pendant des jours, mais une révélation : courir lui plaît. Rapidement, il découvre l’univers de la course à pied, ses plans d’entraînement, ses légendes, ses marathons mythiques.

En 2005, il s’inscrit, presque sur un coup de tête, au marathon de Lyon. Sans montre GPS, sans application, juste au feeling. Il finit la course épuisé mais fier. « J’avais l’impression d’avoir fait quelque chose d’immense. »

Ce n’est que le début d’une passion. Les kilomètres s’enchaînent, les chronos aussi. Il goûte aux semi-marathons, aux dix kilomètres, puis au fameux marathon du Beaujolais. Jusqu’à ce jour de novembre 2011 où, au moment du départ, les organisateurs demandent une minute de silence. Ce simple instant de recueillement réveille en lui une profonde fragilité : sa fille vient d’être diagnostiquée autiste. « Toute la confiance construite pendant ma préparation s’est écroulée en soixante secondes. » Ce jour-là, il comprend que courir, c’est parfois affronter bien plus que la distance.

Avant que tout ne bascule

Quand le trail commence à se démocratiser, Gaëtan s’y reconnaît immédiatement. La route et ses chronos ne le font plus vibrer ; il veut du sens, du relief, du paysage. La SaintéLyon, course de nuit mythique entre Saint-Étienne et Lyon, devient un objectif naturel. Il aime cette idée de liberté, d’aventure, de dépassement.

Et puis, un autre rendez-vous entre dans son calendrier : celui du 13 novembre 2015. Ce soir-là, il est au Bataclan, au milieu de la foule, avec sa cousine et un ami. Le concert commence dans la joie, puis tout bascule à 21h40.

La nuit du Bataclan

Ce qui ressemble d’abord à des pétards devient un carnage. Gaëtan se retrouve plaqué au sol, des corps autour de lui, la tête contre le parquet. « Je ne voyais plus rien, mais j’entendais les tirs, les cris, les téléphones qui sonnaient. » À côté de lui, un homme, blessé, lui parle et le prévient des mouvements des terroristes. Quelques instants plus tard, cet homme meurt, son sang se répandant sur lui.

Gaëtan parvient à s’extraire, se cache derrière un rideau, la tête dans une poubelle. Il entend les terroristes parler, justifier leur acte. L’un d’eux fait exploser sa ceinture. L’odeur, le bruit, les lumières : tout reste gravé. « Encore aujourd’hui, l’odeur de cigarette froide me ramène à cette nuit-là. »

Lorsqu’il est enfin évacué, des heures plus tard, il croit sa cousine morte. Il la retrouvera finalement vivante. Mais quelque chose s’est brisé. « Je savais que j’avais devant moi un immense défi de vie : transformer cette horreur en quelque chose de vivable. »

Courir pour revivre

Quelques semaines après les attentats, la SaintéLyon approche. Pour beaucoup, l’idée de courir après un tel choc relève de la folie. Pour Gaëtan, c’est vital. « Je devais me reconnecter à ma vie. »

Le 5 décembre 2015, il prend le départ de la course de nuit. Une minute de silence est observée pour les victimes des attentats. Il s’effondre en larmes. Mais lorsque les frontales s’allument et que la foule applaudit, il comprend qu’il est à sa place. « C’était une épreuve, mais je devais la faire. » Il franchit la ligne d’arrivée avec un sourire immense, immortalise l’instant sur une photo qu’il garde encore aujourd’hui sur son bureau.

👉 Ce soir-là, il a vaincu plus qu’une ligne de départ : il a réappris à vivre.

De la reconstruction à l’UTMB

Les années passent. Gaëtan continue de courir, d’explorer, de se reconstruire. La course à pied devient son fil conducteur, son refuge, sa thérapie. Il enchaîne les ultras, échoue cinq fois au tirage au sort de l’UTMB, persiste, recommence.

Et puis, en 2023, le mail tant attendu arrive : « Votre année 2023 sera particulière. » Il est tiré au sort. Le rêve peut commencer.

L’UTMB, c’est 170 kilomètres, 10 000 mètres de dénivelé positif, une boucle autour du Mont-Blanc. Une épreuve hors norme, autant physique que mentale. « C’est une aventure où tu vis mille vies en vingt-quatre heures. »

Le départ à Chamonix est une claque émotionnelle. La foule, la musique de Vangelis, les montagnes : tout semble irréel. Mais très vite, la fatigue, le froid, la douleur reprennent leurs droits. Gaëtan vacille, s’effondre, repart, s’accroche. « Je voulais franchir la ligne avec ma fille et mes neveux. » Il le fera.

L’arrivée, à Chamonix, est une délivrance. Un mélange de larmes, de sourires, d’épuisement et de paix. « J’ai trouvé ce que j’étais venu chercher. »

Mettre du beau dans la vie

Aujourd’hui, Gaëtan continue de courir. Pas pour fuir, mais pour avancer. Pour mettre, comme lui a conseillé son psychologue, « du beau dans sa vie ». « Il ne faut pas effacer le moche, dit-il, mais le supplanter par du beau. »

Et si la course à pied n’efface rien, elle permet de transformer la douleur en mouvement. Chez Gaëtan, chaque pas est une victoire, chaque foulée une preuve que la lumière existe encore, même au cœur des ténèbres.


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