Marathon du Mont-Blanc x New Balance : le pari d’un trail libre ?

Grandir sans trahir. C’est peut-être le défi le plus ingrat des organisateurs des courses de Trail. Et c’est exactement celui que tente de relever le Marathon du Mont-Blanc. À l’heure où la plupart des événements courent après les sponsors, les formats et les chiffres, le Marathon du Mont Blanc fait un pas de côté. Par choix. Par valeurs. Et parfois même, à contre-courant.

Nous avons eu la chance de nous entretenir longuement avec Fred Comte, Directeur Club des Sports de Chamonix et organisateur de l’événement. Un homme qui manie aussi bien l’ironie que la vision à long terme.

©Floé - Marathon du Mont-Blanc

Quand courir en montagne était presque une hérésie

Je vous parle d’un temps où courir en montagne relevait presque de la provocation. Et pourtant, c’est bien en 1979, à Chamonix, que quelques pionniers du Club Alpin Français, lassés de marcher à grandes enjambées, lancent ce qui deviendra l’un des bastions du Trail mondial. Le Cross du Mont-Blanc naît sous l’impulsion de Christian Roussel et de quelques têtes brûlées locales. Pas de stratégie marketing. Juste l’envie d’inventer un nouveau format, en dehors des cadres existants.

« À l’époque, personne ne courait en montagne. On nous disait qu’il fallait marcher avec des grosses chaussures. Ceux qui couraient étaient des atypiques… ou des skieurs qui se faisaient les cuisses. » explique Fred Comte

Difficile d’y voir une coïncidence : si le Trail moderne débute ici, c’est parce qu’il est né d’une volonté de rompre avec les codes établis. Sierre-Zinal les avait inspirés. Chamonix allait répondre avec panache à leurs cousins suisses. Et dès la première édition, près de 400 coureurs se présentent. Une anomalie statistique pour l’époque.

« Dès la première, c’était international. Cham était déjà mondialement connu, la course a pris tout de suite. » Poursuit Fred

Passer à l’échelle, sans perdre son héritage en chemin.

Le vrai virage se prend en 1984, quand le Club des Sports de Chamonix reprend les rênes. Ce n’est pas une privatisation. C’est une montée en compétence locale. Chamonix confie son joyau à une structure solide, enracinée, dotée de moyens humains, sans perdre l’âme du projet.

« C’est une organisation associative, mais avec des salariés. Ça change tout. Si tu laisses ça à une petite asso 100 % bénévole, l’épreuve ne survit pas. »

La professionnalisation ne signifie pas marchandisation. L’épreuve reste profondément chamoniarde, mais s’adapte. En 2003, le Marathon du Mont-Blanc est lancé, sur un format hybride. Puis, avec les années, le parcours se stabilise, se naturalise, jusqu’à éliminer la majorité des portions goudronnées.

Et malgré cette montée en puissance, une règle d’or s’impose, héritée des anciens et que Fred répète comme une parole d’évangile:

« Avant de vouloir faire mieux, essaie déjà de ne pas faire moins bien. Et ça commence par apprendre à dire non. »

©Marathon du Mont-Blanc - Page Facebook

Salomon et le Marathon du Mont-Blanc, une rupture sans regards ?

C’est une annonce qui a fait trembler les montagnes. Quand le Marathon du Mont-Blanc a quitté le circuit Golden Trail Series à l’automne dernier, beaucoup sont tombés de leur chaise. La fin d’un partenariat historique avec Salomon, initié en 2004, après vingt ans de collaboration. Vingt ans, c’est presque une vie. Et pourtant, la séparation s’est faite sans fracas public… mais non sans blessures.

Fred Comte ne triche pas. Il parle vrai, sans jamais tomber dans le règlement de comptes. Chez lui, la transparence et la sincérité ne sont pas des postures, mais des réflexes.

« Je ne veux pas refaire l’histoire. On a écrit de belles pages ensemble. Mais je suis attaché à une certaine manière de faire. Et ça, ça m’a manqué. »

Dans ce monde où beaucoup préfèrent les communiqués froids aux conversations franches, Fred insiste : la loyauté compte plus que la diplomatie.

« Depuis 20 ans, toutes les marques nous approchaient. Certaines relançaient chaque année : "C’est quand la fin du contrat avec Salomon ?". Mais aucune ne me donnait une bonne raison de changer. »

Pendant vingt ans, Salomon et le Marathon du Mont-Blanc ont fait bloc. Ensemble, ils ont façonné l’image moderne de l’événement, porté une vision compétitive du Trail-Running et contribué à structurer un calendrier mondial avec la création du Golden Trail Series. Mais cette relation, aussi influente fût-elle, n’avait rien d’un long fleuve tranquille.

« C’est nous qui avons imaginé au départ un circuit international. On a essayé avec deux ou trois autres courses, mais on n’a pas réussi. Et c’est Salomon qui a ensuite pris le relais. »

Malgré tout, aucun ressentiment. Le bilan est assumé, même s’il n’a pas toujours été simple à porter. La médiatisation croissante, les calendriers imposés, la gestion de l’image… Fred n’accuse personne, mais il observe que quelque chose s’était perdu en route : la capacité à raconter leur propre histoire.

On s’est aperçus qu’on était capables d’en faire beaucoup – notamment en matière d’environnement – mais impossible de le raconter. »

C’est à ce moment-là que l’équipe décide de faire un travail de fond sur son identité, via une plateforme de marque. Ce chantier précède la séparation, mais il en constitue l’amorce : retrouver la maîtrise de leur récit, reconnecter avec leurs valeurs, avec leur terrain, et assumer une voix propre.

“Ce qui a mené à la fin ? Ce n’est ni un clash, ni un virage opportuniste. C’est un désalignement progressif.”

Puis vient l'été 2024. Les discussions s’enchaînent. En interne, le doute se transforme en décision, et mi-septembre, le Marathon du Mont-Blanc annonce à Salomon que leur partenariat ne sera pas reconduit.

Fred est clair : le divorce s’est fait sans drame, mais non sans une forme de regret sur la manière. Lui, l’enfant du pays, aurait aimé une sortie « droit dans les yeux ». Il ne l’a pas eue. Tout s’est joué en coulisses, avec une distance qui ne correspondait pas à l’histoire partagée.

Mais pour lui, cette séparation n’est pas une fuite. C’est une respiration, une façon de mieux incarner ce que représente le Marathon du Mont-Blanc : une course ancrée dans son territoire, mais tournée vers l’avenir. Et cette nouvelle page s’ouvre désormais avec un autre partenaire.

New Balance x Marathon du Mont-Blanc : un pari inattendu ?

Au premier regard, ce n’était pas le choix le plus évident. Une marque américaine, loin des Alpes françaises et du microcosme du Trail européen. Pas la marque la plus identifiée comme un acteur majeur du Trail.

Et pourtant, New Balance est devenue le nouveau partenaire principal du Marathon du Mont-Blanc. Un choix qui peut surprendre… mais qui, lorsqu’on creuse, fait tout simplement sens.

L’histoire commence presque de manière informelle. Un coup de fil de Jean-Michel Faure Vincent, figure familière de l’organisation, récemment passé chez New Balance en tant que Team Manager. Il évoque un projet, une stratégie trail à long terme, encore en phase d’écriture mais avec des opportunités pour la course alpine dans les prochaines années. Mais à Chamonix, les choses s’accélèrent.

« Ça ne se passait plus très bien avec Salomon. Alors on a rappelé Jean-Michel. On lui a dit : tu nous parlais d’un partenariat dans deux ou trois ans… La porte est ouverte maintenant. »

Ce qui séduit immédiatement les organisateurs ? L’approche. L’écoute. La simplicité. L’enthousiasme de NB. Pas de longs échanges commerciaux. Juste une proposition claire, humaine et surtout directe.

« On leur a dit ce qu’on voulait. Ils n’ont pas négocié. Ils ont juste dit : ça nous va. Nous, ça nous faisait rêver. Trois semaines après, c’était signé.»

Mais le déclic va bien au-delà des chiffres.

« Ils nous ont présenté New Balance, leur histoire. Une entreprise familiale, née en 1906, comme nous on est nés en 1905. Pas cotée en bourse. Un patron encore aux manettes. Ce côté familial, ça nous parle. On est une asso et c’est essentiel pour nous. On a déjà arrêté des partenariats parce que humainement ça ne marchait pas. »

Et surtout, la promesse d’un partenariat exclusif.

« Ils nous ont dit : on n’a pas de trail. Vous serez les seuls. »

Un engagement total, à contre-courant d’un marché saturé, où les marques se dispersent souvent. Là où Salomon ou Hoka gérait jusqu’à cinquante courses en parallèle, New Balance choisit une voie plus sélective, plus concentrée.

« Avec eux, on ne prend pas de risques. On se ressemble. Certes ils sont américains, mais originaires de Boston et on dit souvent que c’est la ville la plus européenne des États-Unis

Ce n’est pas un simple changement de sponsor, mais le début d’un nouveau cycle, construit sur la confiance et une volonté commune de bâtir sur le long terme.

Nouveaux équilibres : entre écologie, souveraineté médiatique et esprit pionnier

Le partenariat avec New Balance n’a pas seulement ouvert un nouveau chapitre sur le plan commercial. Il a surtout redonné à l’organisation une plus grande latitude pour affirmer sa vision.

Un sport face à l’urgence climatique

Depuis plusieurs années, le Marathon du Mont-Blanc ne se contente pas de discours : il agit concrètement pour l’environnement. En 2024, 40 % des dossards ont été réservés à des participants venus en transports en commun, avec un critère simple mais engageant : présenter un billet aller-retour couvrant au moins 50 % du trajet. Une mesure coûteuse, critiquée parfois, mais pleinement assumée par l’organisation.

Pour Fred Comte, son directeur historique, ce virage est nécessaire : « On est les témoins privilégiés du dérèglement climatique. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. » La fonte des glaciers alentour rend l’engagement environnemental incontournable.

Mais cette exigence ne s’arrête pas là : limitation volontaire du nombre de participants, suppression des bouteilles en plastique, refus de certains formats commerciaux trop agressifs. Un positionnement parfois clivant, mais fidèle à l’esprit de pionnier de l’épreuve.

Fred le rappelle : « Ce qu’on fait, ce n’est pas neutre. » Pour lui, une course qui perd son ancrage territorial ou l’adhésion des locaux est vouée à disparaître. Le Marathon du Mont-Blanc veut rester un modèle, pas une machine hors-sol.

Un virage médiatique stratégique avec l’équipe 21 en nouveau diffuseur

Pendant plusieurs années, les images du Marathon du Mont-Blanc étaient diffusées sur Eurosport. Une exposition internationale, certes, mais une frustration grandissante pour les organisateurs.

« Quand t’es sur Eurosport, t’as plus vraiment la main sur ce que tu fais. […] T’écris un brief de trois pages pour que le speaker raconte ton histoire… sauf qu’il ne s’y intéresse pas. Tu veux parler de ta vallée, tu veux montrer le sommet du Chardonnay, mais les commentateurs se contentent de décrire les shorts qu’ils voient courir à l’écran.”

Le ton est donné : à Chamonix, on ne veut plus déléguer la narration. On veut raconter sa propre histoire, valoriser le territoire, l’écosystème, les gens. L’organisation a donc choisi de produire elle-même ses contenus pour les diffuser sur ses réseaux et ceux de ses partenaires. Une décision assumée, cohérente avec le reste.

Pour autant, Fred nous lache une exclusivité : le Marathon du Mont-Blanc sera désormais diffusé sur la chaîne L’Équipe 21, avec un créneau en direct le matin de la course.

« C’est tout frais. On est super contents. Une course franco-française diffusée en clair, avec 90 nations au départ mais 70 % de Français : c’est 100 fois mieux que sur Eurosport. »

Mieux valoriser la performance… pour toutes et tous

Ce soutien de New Balance permet aussi de revaloriser la performance, avec une nouvelle grille de primes plus lisible et ambitieuse : 10 000 € pour les vainqueurs hommes et femmes du 42 km, un montant symbolique qui repositionne l’événement parmi les grandes courses mondiales. 

« On a regardé ce qui se faisait ailleurs. Mais on ne peut pas tout mettre sur les 300 élites. L’événement, ce sont les 10 000 coureurs. »

La jeunesse au cœur du projet

Soutenir la performance, c’est aussi donner une place centrale aux jeunes coureurs. Dans la continuité de son ADN associatif, le Marathon du Mont-Blanc s’engage à renforcer les formats jeunesse, avec l’appui clair de New Balance pour les développer durablement.

« On en fait quatre aujourd’hui, et on met vraiment en avant les jeunes. » Chez Fred, ce n’est pas un effet d’annonce, mais le fruit d’un vrai raisonnement.

Jusqu’ici, la “Young Race” était organisée dans la foulée du 42 km, avec un départ imbriqué dans celui des élites. L’idée paraissait séduisante sur le papier : courir dans les traces des meilleurs. En réalité, les jeunes rattrapaient des élites en fin de course, les doublaient, et se retrouvaient noyés sur la ligne d’arrivée, sans visibilité, sans classement lisible, sans valorisation. « Ce n’était pas cool. On ne savait même pas qui avait gagné quoi », confie Fred.

Pour 2025, le Marathon du Mont-Blanc rebat totalement les cartes : les jeunes auront leur course dédiée, leur propre départ depuis Chamonix, une arrivée pensée pour eux et même, pour les meilleurs, la possibilité de signer un contrat.

« Les U18 et U20, on veut les mettre en avant. C’est bien normal, puisque ce sont les coureurs de demain. »

En résumé, tracer sa ligne dans la tempête du sport professionnel

Dans un monde de plus en plus instable, où la logique de performance économique menace souvent l’authenticité des événements sportifs, le Marathon du Mont-Blanc continue de tracer sa ligne, avec exigence et sens des responsabilités.

Pas de nostalgie du "c’était mieux avant", mais un vrai devoir de mémoire : celui de pionniers qui ont su faire évoluer le Trail sans jamais trahir ce qui faisait son âme. Loin des effets d’annonce, Fred Comte et son équipe assument leurs choix, qu’ils soient populaires ou impopulaires, dans un dialogue permanent entre héritage et innovation, territoire et international, éthique et attractivité.

« On a toujours pris nos décisions dans le respect du lieu, des gens, de notre histoire. » afirme Fred.

Le départ de Salomon ? Il s’inscrit dans une continuité, pas dans une rupture. L’arrivée de New Balance ? Une opportunité, pas une fin en soi. Ce qui compte, c’est ce qui reste : l’envie de faire mieux, sans renier ce qu’on est.

À l’heure où d’autres événements cèdent aux sirènes du gigantisme ou de la rentabilité à tout prix, le Marathon du Mont-Blanc pose un autre modèle : celui d’une croissance consciente, attentive aux signaux faibles, à l’usure des milieux naturels et à la lassitude possible des populations locales.

Et si, finalement, la vraie modernité, c’était ça : garder l’esprit pionnier dans un monde qui uniformise ?


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